Gestionnaires d’actifs · Perspectives de marché

« Le problème ne vient pas des USA, mais de la Chine’

Léon Cornelissen, chief economist, Robeco

L’inconstance du président américain Donald Trump donne du fil à retordre aux investisseurs. D’une part, parce qu’il est difficile d’anticiper les rebondissements du Tweeteur le plus puissant du monde. Et d’autre part, parce que dans le contexte de marché actuel, on ne décèle que peu de menaces, explique Léon Cornelissen, économiste en chef chez Robeco. « Nous sommes dans une situation de luxe. Ça va trop bien. »

Trump prolonge d’un mois l’exemption des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium pour l’Union européenne, le Canada et le Mexique. C’est ce qu’a annoncé la Maison Blanche à peine trois heures avant l’expiration de la mesure exceptionnelle. La décision de Trump s’est appuyée sur la législation, qui doit garantir la sécurité nationale aux États-Unis, mais dans les faits, son agenda était davantage lié à la politique intérieure, pense Cornelissen. 

« La première salve de sanctions sur l’aluminium et l’acier est tombée juste avant les élections partielles de Pennsylvanie, qui se sont soldées par la victoire inattendue d’un démocrate. De là est née la suspicion qu’il aurait improvisé sans vérifier la faisabilité juridique de telles mesures. Il s’est égaré dans sa façon historique de faire des affaires où il tente d’obtenir la faveur de ses adversaires sous le joug de la menace. »

La mort par la Chine

Parallèlement, il est difficile de mesurer la véritable influence de Peter Navarro, l’auteur qui murmure aux oreilles de Trump, estime Cornelissen. L’économiste et conseiller de la Maison Blanche est convaincu que l’aigle américain est inexorablement voué à s’incliner devant le dragon chinois en cas de confrontation. En 2011 déjà, il mettait en garde dans son livre intitulé « Death by China » le risque du déclin de l’Amérique face au danger rouge. 

Cornelissen : « Navarro a littéralement dit que l’Amérique n’a plus d’avenir économique à cause de la politique industrielle agressive de la Chine. À présent, la question est de savoir si Trump y croit aussi. Le problème avec Trump, c’est que…on ne sait pas. Ce que nous savons, c’est que la Chine ripostera à chaque mesure. Si c’est œil pour œil, dent pour dent, la situation risque bien vite l’escalade. »

Le dindon de la farce : le consommateur

Le véritable agenda politique de Trump reste flou pour l’Europe, elle aussi, affirme Cornelissen. L’UE réagit de façon modérément positive à l’ajournement d’une guerre commerciale, mais dénonce simultanément l’incertitude pour le marché qu’entraîne cette prolongation d’un mois de l’exemption. La pression de l’Europe sur les États-Unis pour obtenir une exemption complète s’intensifie, et c’est précisément l’intention de Trump, explique l’économiste. 

« Il trouvera dans de nouvelles menaces l’occasion idéale de viser les voitures allemandes, par exemple. Avant même de le savoir, des barrières douanières émergeront et c’est bien comme cela que fonctionne le commerce international, la victime est une figure publique : le consommateur. Malheureusement, la perspicacité stratégique du président des États-Unis ne va pas aussi loin pour le comprendre. »

D’après Cornelissen, la décision de ne pas exempter le Japon des droits de douane sur les importations est une évolution tout aussi préoccupante. Toujours selon Cornelissen, cette décision cache probablement la volonté des États-Unis de rompre le Partenariat Transpacifique (PTP). 

« Le PTP a été mis sur pied par Obama dans le but d’isoler la Chine, l’idée de vouloir y jouer un rôle n’est donc pas complètement folle. Trump en a pris conscience assez tard. Surtout à présent que les autres pays impliqués dans l’accord de libre-échange commencent à enregistrer de beaux progrès. Le négociateur japonais a qualifié « d’inhumaine » la volonté des États-Unis d’adhérer malgré tout. Trump souhaite recevoir une offre qu’il ne peut refuser et les autres parties ne sont plus disposées à faire ce genre de concessions. La question est de savoir ce qu’en pense Trump. »

Le climat politique s’assombrit

La situation peut donc s’envenimer depuis n’importe quel continent. Et même si les propos menaçants n’ont jusqu’ici pas abouti à des escalades commerciales majeures, le climat politique international s’assombrit, indique Cornelissen. Le fait que le Maison Blanche ne cesse d’héberger toujours plus de ‘types extrêmes’, augmente le risque que la politique étrangère des États-Unis se radicalise, met en garde Cornelissen. De plus, explique encore l’économiste, la Chine met la pression sur les États-Unis via d’autres canaux.

« Par exemple par le biais d’exercices des forces de la marine dans l’Océan Pacifique. Si le but de la politique étrangère des États-Unis est d’entraver les développements technologiques de la Chine, la Chine aura à nouveau des munitions pour déployer des forces plus radicales. Ce ne sont pas de bonnes nouvelles pour les investisseurs.»

La Chine, source de préoccupation

Cornelissen constate malgré tout une certaine stoïcité des marchés sous la menace commerciale.  ‘Les tweets de Trump font les gros titres depuis un an et demi. Si l’on pouvait s’en effrayer au début, on peut parler d’une certaine accoutumance depuis. « À la lumière d’une économie mondiale qui tourne à la perfection, nous pouvons naturellement nous permettre le luxe d’y prêter toute notre attention. »

Cependant, malgré toute l’euphorie que suscitent des conditions de marché favorables et persistantes, les investisseurs ne peuvent ignorer l’évolution de l’endettement chinois, prévient l’économiste en chef. Même si d’après lui, la dette ne devrait pas générer directement des problèmes, la capacité d’absorption des autorités centrales du pays cessera un jour. « À force d’endurer, on finit par craquer. Récemment, la Chine a publié une croissance économique supérieure aux prévisions, et le jour d’après les réserves obligatoires d’une partie du secteur bancaire étaient en baisse. Il se trame donc bien quelque chose ici ; le pays ne semble pas se fier à ses propres chiffres. C’est la raison pour laquelle la Chine pourrait devenir la prochaine source de préoccupation des investisseurs. »